Pierné, Althusser et Cantat
05/08/2003
Il y a déjà dix ans que j'ai créé Henri Pierné pour me moquer des journalistes avec mes amis. (Pierné n'apparaît pas encore dans cette nouvelle version du Grenier, mais patience, ça viendra !)
Pour les nouveaux, sachez juste qu'Henri Pierné est un écrivain qui n'a jamais existé, mais dont quelques journaux de ma région se sont fait l'écho parce que, dans la moiteur touffue de certaines rédactions de Province, on se contente parfois de recopier les dossiers de presse pour tirer à la ligne avant de rejoindre les collègues à l'apéro.
Bref. Au moment de la rédaction de la première bio de Pierné, je m'étais largement inspiré de la vie de Louis Althusser, qui me faisait hurler de rire tant elle était pathétique. Je n'avais pas d'autre excuse que ma jeunesse imbécile, et j'avais un sens de l'humour si particulier qu'il donnait envie à beaucoup de gens de me taper dessus pour l'oublier.
Aujourd'hui, la vie d'Althusser ne me ferait plus autant rire, sans doute. Et le cours que Bertrand Cantat a fait prendre à la sienne me plonge dans des abîmes de perplexité.
Je n'ai aucun intérêt pour le fait divers sordide et son traitement spectaculairement abject par nos amis les médias (et encore, je parle que des journaux et de France-Inter, je regarde pas la télé. J'imagine que les trépanés du 20 heures ont dû se rouler dans la fange avec une délectation rare, partagée par les vingt millions d'abrutis qui les regardent). Je n'étais pas en Lituanie ce soir-là (quelle idée, d'ailleurs, la Lituanie !), je connaissais pas ces gens-là, je ne sais pas s'il avait l'habitude de la frapper, s'il avait pris du crack ou du Calvados hors-d'âge, bref. Je me sens pas en droit de juger ce genre d'histoires, vu que je n'en connais pas les circonstances, atténuantes ou aggravantes. Il y a aussi que ces affaires-là sont légion, et que la presse a d'habitude plutôt tendance à s'en foutre : le même jour, dans mon coin, il y a une femme battue qui a accouché dans le coma profond, et Ouest-France a fait à peine semblant de s'y intéresser. Comme pour l'« affaire Trintignant », il y a une femme qui va mourir, un type qui va finir en prison, mais en plus, il y a un nouveau-né qui commence sa carrière d'être humain salement amoché.
En revanche, ce qui me fascine, c'est comment un type qui a autant de talent (je connais peu de chanteurs français capables d'interpréter une chanson comme lui), et qui est plutôt joli, admiré, écouté, pété de thunes et plein de projets intéressants, a pu commettre un crime aussi abject. Comment peut-on détruire une vie, et la sienne par la même occasion, en l'espace de quelques heures ? Et comment y survivre ?
Dans Rolling Stone de ce mois-ci, il y a, délais de bouclage obligent, un article sur Septembre ensemble, la manifestation que Zebda et Noir Désir avaient prévu d'organiser, et qui est évidemment annulée. Le Cantat est en photo avec les mecs de Zebda, sous le soleil, souriant, et il dit des tas de trucs bien pensés dans l'interview. D'imaginer que le même croupit dans une geôle lituanienne quelques semaines plus tard, ça fout le vertige.
Comme disait ma boulangère, on est bien peu de choses.