Chambre close

Il y a quelques années, j'avais imaginé quelques « whodunnits » très brefs pour amuser mes copains en jouant avec les clichés... Je me suis arrêté très vite, quand j'ai réalisé qu'Alain Demouzon avait fait ça bien avant, et surtout, mille fois mieux que moi. J'ai retrouvé le premier de la série dans ma cave ce week-end. À l'époque, ma chérie et ma meilleure amie avaient trouvé l'astuce super naze. Il n'empêche que j'offre un kilo de prunes au premier lecteur qui trouvera la solution...

DRAMATIQUE POLICIÈRE EN UN ACTE ET DEUX PAGES

LE COMMISSAIRE DUTHILLEUL
Bon (soupir). Récapitulons. Inspecteur Chiffre, je te croyais mon ami, tu n'es qu'un félon. Je me demande encore comment tu as réussi à extraire ma vieille carcasse de flic désenchanté du Quai des Orfèvres, où j'attendais tranquillement la retraite, pour me faire venir ici, dans la région Lilloise. Permets-moi de te dire en passant que le paysage est loin de valoir les deux heures de train. Bref... J'arrive dans une maison vide, où il n'y a rien à voir puisque le crime a été découvert il y a deux jours. Il fait un froid de canard, le bassin devant la maison est recouvert d'une croûte de glace plus épaisse que la pile de dossiers en urgence qui m'attend à Paris, on est à deux jours de Noël et je n'ai pas de cadeau pour mes petits-enfants, mais passons. Dans ce qu'il reste d'une salle de bains ravagée par un troupeau de flics de l'identité judiciaire au galop, tu m'apprends qu'on a retrouvé le propriétaire de la demeure menotté dans son bain, les poignets entaillés. Tu ajoutes pour piquer ma curiosité qu'on n'a pas retrouvé l'arme, et que la maison était vide de tout occupant et fermée de l'intérieur. Si c'est une blague, Chiffre, il faut le dire tout de suite. La Gare du Nord a des attraits qui t'échappent sans doute, mais que je ne serais pas mécontent de retrouver au plus vite.

L'INSPECTEUR CHIFFRE
Allons, Commissaire ! Si j'ai fait venir le plus brillant limier de Paris, c'est que le jeu en valait la chandelle !

DUTHILLEUL
Pas la peine de jouer la flagornerie, mon bon. Laisse moi disserter, j'aime bien m'écouter. Je reprends. Le type... Comment s'appelait-il, déjà ?

CHIFFRE
Henri Pierné.

DUTHILLEUL
C'est ça. Pierné, donc mijote dans bain, pieds et poings liés. Il a les veines des deux poignets tailladées, ce qui pourrait faire penser à un vulgaire suicide, mais l'arme est introuvable, ce qui éveille tes soupçons. Quant aux causes du décès, « on attend les résultats de l'autopsie ». Rassure-moi, Chiffre, quand tu as fait les premières constatations, le type nageait bien dans son sang comme un goret égorgé de frais ? Tu es sûr qu'il n'a pas succombé à une bête crise cardiaque et que nous ne sommes pas en train de dilapider un temps qui m'est précieux ?

CHIFFRE
Commissaire !

DUTHILLEUL
Mouais... Personne n'a pu entrer ni sortir d'ici, vu que le Monsieur est champion du monde de paranoïa, et qu'il passe son temps à refermer les portes blindées derrière lui. On retrouve un vieil opinel à moitié rouillé dans le jardin, mais ça n'est pas l'arme du crime, c'est ça ?

CHIFFRE
Oui, les collègues du labo sont formels : il n'y a jamais eu la moindre particule de sang sur la lame. Et puis ça ne colle pas : on a retrouvé le couteau à l'extérieur, alors que la salle de bain est à l'étage.

DUTHILLEUL
Méfie-toi du labo autant que des ministres de l'intérieur, mon bon. Quant à déposer un couteau dans le jardin en partant, c'est à la portée du premier abruti venu. Si c'est le cas, le tout est de savoir comment on peut refermer ces saloperies de portes blindées de l'intérieur...

CHIFFRE
...

DUTHILLEUL
Passons à la liste des suspects. Nous avons donc Madame Pierné, une belle jeune femme qui hérite de son mari et va se voir en outre verser un capital coquet grâce à la somptueuse assurance-vie souscrite par le défunt. Vient ensuite le jeune Vincent Pierné, le fils, né d'un premier lit, qui a déjà récupéré le siège de PDG de Papa à la filature familiale alors que le Patriarche n'est pas encore sorti des tiroirs de la morgue. Enfin, la vieille tante impotente, Aimée la mal-prénommée, qui détestait cordialement son neveu, qu'elle rend responsable de son veuvage et de son piètre état de santé. Une belle galerie de faux-derches. Mais évidemment, tout ce joli monde a un alibi en béton.

CHIFFRE
On a tout vérifié cent fois, Commissaire. Quand Pierné a été tué, sa femme était en train de perdre beaucoup d'argent à une importante course hippique, son fils était à l'assemblée générale d'une société qu'il vient de racheter, et la tante jouait les commères au club du troisième âge, comme tous les mardis. Il y a des dizaines de témoins pour confirmer qu'aucun des trois n'a pu s'approcher de la maison, je l'ai quand même pas inventé !

DUTHILLEUL
Mmm... Cela dit, tes enquêtes de voisinage ont quand même montré qu'ils avaient de sérieuses raisons de vouloir abréger l'existence de ton client. Sa jolie épouse avait un amant ?

CHIFFRE
Oui, mais rien ne laissait croire qu'il l'avait découvert. Les voisins prétendent plutôt que Pierné avait l'air très amoureux de sa femme.

DUTHILLEUL
Et le fiston ? Il passait bien son temps à essayer de pousser son père à la retraite ?

CHIFFRE
Les employés de la filature ne cachent pas qu'on les entendait régulièrement hurler dans le bureau. Le fils disait que le père menait la société à sa ruine. Il voulait changer le management, comme il disait, mais le père ne voulait rien savoir.

DUTHILLEUL
Et la vieille tante ?

CHIFFRE
Elle vivait chez son neveu depuis l'accident, il y a trois ans. Ce jour-là, Pierné était au volant malgré le fort taux de whisky qu'il avait dans le sang. Il a raté un virage, le mari de la tante est mort sur le coup. Quant à elle, elle est restée hémiplégique.

DUTHILLEUL
Encore un motif de haine. Mais dis-moi, mon bon Chiffre, pourquoi m'as-tu fait venir ici, au juste ?

CHIFFRE
Mais... Pour que vous puissiez éventuellement m'aider dans mon enquête, Commissaire.

DUTHILLEUL
T'aider ? Qu'est-ce que tu veux savoir ? L'identité du meurtrier ? Le mobile ? Ce qu'est devenue l'arme du crime ? Il n'y a qu'à demander, mon bon Chiffre. Il n'y a qu'à demander !

*

POST-SCRIPTUM. Il se peut que la ficelle ait déjà été utilisée dans un polar. Si c'est le cas, me laissez pas dans l'ignorance : quand j'ai eu cette idée débile, j'étais fier comme Bar-Tabac...