À vau-l'eau
11/10/2003
Le monde part à vau-l'eau, bonnes gens.
Enfin... Le vôtre, je sais pas. Mais dans le mien, y a tout qui se barre en couilles.
Je m'étais déjà fendu ici-même d'une petite évocation de cette commune merveilleuse où on habitait à la campagne, à 5 km du centre-ville. En un an, ils ont construit un supermarché, détruit le centre du village, érigé des clapiers très chers pour nouveaux riches, défiguré le paysage et cassé mes rêves. Mais le cauchemar continue : non seulement les lotissements poussent plus vite que les champignons, cette année, mais plus rien n'arrête la mégalomanie des promoteurs. Le dernier délire en date, c'est une jardinerie de je ne sais plus combien de milliers de mètres carrés, qui va faire sa maligne juste en face du centre commercial. Une jardinerie ! Là où y avait un champ ! Dans une ex-commune rurale où les logements-champignons flambant neufs n'ont même pas de jardin !
Et puis ils ont détruit ma petite route préférée, les salauds.
Une vraie petite route de campagne, qui serpentait le long de la rivière, entre les arbres : deux kilomètres de campagne du centre de la ville jusqu'au petit bourg oublié. MA route ! Celle qui permettait d'oublier le stress, les bouchons, les klaxons, et les tordus de la route qui se croient dans « Mad Max » quand il sont au volant...
J'ai vécu là-bas pendant trois ans. Dans une petite maison de pierres, avec un feu qui crépitait dans la cheminée, et des voisins bienveillants. À gauche, Louis, qui partageait sa cueillette de champignons ou les incroyables raisins sucrés de sa vigne. En face, Fatiha qui débarquait sans prévenir avec un couscous fumant, et qui nous remerciait du moindre menu service avec un chapelet de merguez « de chez Marcel », les meilleures de la Terre. Et, quand on lézardait dans le jardin, on n'entendait que les oiseaux, parfois les enfants du voisinage. Jamais les voitures, qui ne roulaient pourtant pas bien loin.
Chaque matin, en me levant, je remerciais la chance de m'avoir fait découvrir cette maison. Et je me demandais comment c'était possible, autant de tranquillité si près de la ville, à une distance où, partout ailleurs le long du périph, ce ne sont que banlieues tristes, hypermarchés glauques et barres d'HLM en voie d'effondrement.
On se le disait souvent, quand on partait se balader dans les champs le week-end, que tout ça finirait par se recouvrir d'une épaisse couche de béton. On se le disait surtout pour conjurer le sort, d'ailleurs. Sans imaginer que ça viendrait si vite. Ni que la mairie du village accorderait les permis de construire à tours de bras...
Eh bin c'est pas tout !
Le patron du troquet de centre-ville où j'avais mes habitudes depuis près de dix ans a décidé de repeindre. En jaune très pâle. Pour qu'on voie mieux l'intérieur du bar, de la rue. Parce que le chiffre d'affaires commençait à baisser.
Résultat, ce bar chaleureux, en pierre calcaire et en poutres apparentes, vient de prendre les couleurs vomitives d'un hôpital albanais des années 70. Quant à la carte, elle a vu débarquer les croque-monsieur et autres tartes salées industrielles : c'est vite décongelé, vite réchauffé, un peu dégueu, mais on double la marge. Et, tant qu'on y était, on a dit au revoir à la bonne vieille kro-pression. Et bonjour à la Grimbergen, cette fausse bière d'abbaye au goût de marketing écœurant. Bière de merde, certes, mais tout de même 50 centimes d'euros (ouais, plus de trois balles !) de bénéfice supplémentaire par verre...
Voilà. Mon petit monde se barre en couilles parce que les gens s'y précipitent pour vendre leur âme au diable. Mais il va bien falloir que la tendance s'inverse : à force d'acheter à tort et à travers, Satan va finir par ne plus être solvable.